C’est à l’époque du règne de Philippe II (1527-1598) que fut conçue l’idée de relier le bassin de la Meuse au bassin de l’Escaut par un canal navigable entre Charleroi et Bruxelles. Cette idée fut renforcée le 11 octobre 1561 par l’ouverture du canal de Bruxelles au Rupel. Ce qui allait être le moteur capital de cette réalisation portait le nom de “charbon de terre”. Son exploitation à Charleroi, à l’époque Charnoy avant de devenir Charleroy en 1666, et à Jumet revêtait déjà une certaine importance. Ce charbon transitait en petites quantités par des routes peu nombreuses, en mauvais état et souvent soumises à des péages multiples et coûteux. Cette situation s’avérait intolérable en raison de la demande croissante des villes en pleine expansion telles que Bruxelles, Malines, Louvain et Anvers. De là, le voeu de construire un canal.

En deux siècles, sous les gouvernements espagnols et autrichiens, pas moins de 7 projets virent le jour (1570, 1656, 1660, 1669, 1692, 1750 et 1783-1784). Ils ne reçurent aucune suite.

1570

1570 vit naître l’idée d’un canal qui, en prolongement de celui du Rupel à Bruxelles, marcherait vers Charleroi et la Sambre par la vallée de la Senne.

1656

Un octroi daté du 6 avril 1656 autorisait les États du Hainaut à entreprendre des recherches, afin de déterminer le meilleur tracé du canal. Le projet qui en résulta prévoyait le passage par Nivelles, avec  canalisation de la Dodaine

1660

Le 25 août 1660, une équipe d’ingénieurs composée de JANSENS, WANWREEDE. CORNELIS, PEETERS et MERCX déposa un projet assez audacieux pour l’époque.

En effet, ils affirmaient qu’il suffirait de 19 écluses et d’une tranchée à ciel ouvert profonde de 45 m pour franchir la crête de partage. Cette solution provoqua aussitôt une levée de boucliers. Les uns la jugeaient douteuse, utopique, les autres, moins nombreux, la qualifiaient de “possible”. Finalement, se rangeant du côté des détracteurs, le gouverneur DEVELASCO, représentant du roi d’Espagne, Charles II, déclara le projet irréalisable. Le tracé avancé par les ingénieurs partait de Bruxelles par la vallée de la Senne jusqu’à Arquennes et Rénissart pour rejoindre la vallée du Piéton jusqu’à la Sambre. Notons que les cartes géographiques n’étaient, alors, guère répandues. Seule la carte de S’GROOTEN (fig. 6),  publiée dans l’Atlas der Nederlanden” en 1573 pouvait guider les ingénieurs. Au demeurant, cette carte était de peu d’utilité car fort imprécise.

1669, 1692 et 1750

Les projets de 1669 et 1692 reçurent un timide commencement d’exécution au départ de Bruxelles. Ainsi un octroi, daté du 18 janvier 1692, autorisa la construction d’un bassin dans les prairies entre le Vieux Marché et la porte d’Anderlecht à Bruxelles. Mais, hélas, la réalisation du canal n’alla pas plus loin. En 1750, une nouvelle reconnaissance fut opérée sans suite.

 Un problème de cartographie

Comme nous le signalions plus haut, le travail des ingénieurs était directement lié à la qualité des documents cartographiques disponibles.

 Lors des campagnes de Louis XIV en nos régions, soit entre 1674, date de la bataille de Seneffe, et 1690, les cartographes militaires réalisèrent de nombreux levés. Ces cartes qui représentaient des détails et des repères “stratégiques” se révélèrent cependant, pour les ingénieurs, par trop incomplètes .

Ce n’est qu’en 1774, avec la carte des Pays-Bas de FRIEX, que les ingénieurs disposèrent enfin d’un document de premier ordre, esquissant le relief du terrain.

Mais ce document allait vite être dépassé en précision et en notoriété par l’étonnante carte du général major comte de FERRARIS . Celui-ci, dès la fin de l’année 1769, soumit au gouverneur de la Belgique autrichienne, Charles de Lorraine, un projet de réalisation d’une carte de toutes nos provinces exécutée au 86.500e et gravée sur cuivre. Il demandait 3 ans pour accomplir ce travail, il lui en faudrait huit. Un beau prospectus dont le texte fut rédigé par le Comte de NENY fut élaboré pour le lancement de cette carte.

Il annonçait que la carte était vendue chez les demoiselles LEMAY, libraires et marchandes d’estampes, au coin de la rue du Marquis à Bruxelles, au prix de quatre louis d’or. Pour cette somme, on obtenait une carte où l’on trouvait : “les chaussées, les routes et tous les chemins les plus fréquentés ainsi que les barrières où l’on paie passage et les stations des postes”.

On garantissait que sur la carte figuraient : “les étangs, les marais et les mares”, plus “les montagnes, les rochers, les coteaux et les dunes, les vallons, les gorges, les ravins, les houillères, les minières, les carrières, les eaux minérales, les verreries, les forges, les fourneaux de mines et les fours à chaux”.

Sans oublier le plan des villes avec leurs rues et leurs places. Étaient même dessinés sur les 25 feuilles composant l’ensemble de la carte : “les forêts, les bois, les taillis, les bosquets, les avenues, les touffes d’arbres, les buissons et tout ce qui peut, en ce genre, servir de direction dans les campagnes”.

1783 et 1784

Durant les années qui suivirent, les houillères de Charleroi et de Jumet mais également celles du Centre se développèrent. C’est pourquoi le dernier projet “autrichien” de 1783 et 1784 envisageait de joindre la région du Centre via Ecaussines. Lui aussi fut abandonné.

Enlisement du projet

On peut croire, comme le disent CHENU et LEFEBVRE, ingénieurs des Ponts et Chaussées, dans leur historique du canal de Charleroi, que “creuser un canal au travers du col de partage des vallées de la Sambre et de la Senne et d’en assurer l’alimentation était presque insurmontable à cette époque où l’art de la construction des galeries souterraines était peu connu et où l’alimentation des canaux à point de partage avait été peu étudiée”.

Or BELIDOR, en 1753, dans son livre sur l’architecture hydraulique, rappelait la construction du canal du Languedoc nommé aussi Canal du Midi ou Canal Royal. Et surtout mettait en évidence le percement de la montagne de Malpas (près de Béziers) par un souterrain de 233,8 m de long. “Ce travail passe pour quelque chose de prodigieux et digne des anciens Romains” proclamait-il.

La construction de ce canal d’environ 245 km prit quinze ans de travail. Il était l’oeuvre de Pierre Paul de RIQUET (1604-1680) et du Chevalier de CLAIRVILLE. Il fut inauguré au mois de mai 1681. S’il possédait le premier souterrain des “35 souterrains du réseau français”, il n’était pas le premier canal à point de partage, ce dernier étant le canal de Briare, inauguré en 1642.

On peut dès lors s’interroger sur les multiples enlisements du projet de percement du canal de Charleroi à Bruxelles. Ces échecs ne doivent plus exclusivement être attribués aux difficultés techniques. Y avait-il un manque de volonté politique, un manque d’entreprise au sens premier du mot ? Y avait-il de la part des Habsbourg d’Autriche la volonté délibérée de consacrer à cette lointaine province le minimum de moyens financiers et à fortiori de ne pas se lancer dans de grands ouvrages longs et coûteux ? Ce sont sûrement des éléments de réponse à l’inaction de l’Ancien Régime. Sont-ils exhaustifs ? Nous ne retiendrons qu’un fait positif: le canal se présentait comme de plus en plus indispensable.

1789 mettra un terme à ces atermoiements. Dès 1792, la France révolutionnaire déclare la guerre à l’empereur François II et absorbe les Pays-Bas autrichiens ainsi que la principauté de Liège. Nos nouveaux dirigeants allaient relancer le projet de canal entre Charleroi et Bruxelles.