D’une manière générale, dans la région…

La région brainoise, comme l’ensemble de la Belgique, a connu une succession d’innombrables transgressions et régressions marines qui recouvraient partiellement ou totalement les terres du continent d’alors. Une lutte sans merci s’offrait entre la terre et la mer pour la conquête du sol.

Lors de l’ère primaire (entre 540 et 250 millions d’années), la mer déposait principalement des sables et des argiles, puis vinrent ensuite des calcaires avec des constructions récifales (crinoïdes, coraux, brachiopodes, …) liées au développement de l’activité biologique.

De grandes périodes de plissements se sont succédées et les terrains immergés par la mer ont progressivement été soulevés jusqu’à la constitution de montagnes comparables en taille aux Alpes et aux Pyrénées actuellement.

Plus tard, pendant l’ère secondaire, entre 250 et 65 millions d’années, les mers déposent des craies dans le bassin de Mons. Les eaux de ces périodes recèlent une multitude de micro-organismes qui constituent la masse de la craie : ce sont les coccolites.

Plus récemment, durant l’ère tertiaire, entre 65 et 2 millions d’années, c’est le règne des dépôts marins argileux et sableux fins avec des fossiles fort semblables aux organismes actuels.

Au quaternaire, après 2 millions d’années, peu après que l’homme est apparu chez nous, les mers se retirent définitivement de la Belgique et le réseau hydrographique actuel s’installe en creusant les massifs rocheux qui se sont accumulés pendant les multiples périodes marines.

Des milliers de mètres de dépôts marins déposés par les mers successives, il ne reste plus grand-chose aujourd’hui, seulement quelques centaines de mètres.

Dans la région de Braine-Le-Comte, la vallée de la Senne marque la limite entre les terrains tertiaires argileux et sableux : à l’ouest, les argiles vertes de l’Yprésien et, à l’est, les sables jaunes du Bruxellien

En remontant vers Tubize, ce sont les terrains les plus anciens de Belgique qui affleurent, soit les quartzites et les phyllades contenant un minéral particulier : la magnétite.

En descendant vers Soignies, ce sont les calcaires à crinoïdes visibles notamment dans les carrières du Hainaut. Ces calcaires renferment de nombreux fossiles caractéristiques des dépôts marins du dévonien vers 360 millions d’années. L’histoire du passé carrier de la région est bien décrit est explicité par des outils et des échantillons de fossiles dans un musée : le musée de la pierre bleue à Soignies.

Dans la vallée de la Sennette, avant le plan incliné de Ronquières, sur les bords du canal à Fauquez, des schistes gris bleu renferment les plus anciens fossiles de Belgique (les graptolites) et, plus loin, à Quenast, des roches magmatiques qui traversent les terrains sédimentaires plissés.

Dans la tranchée

La partie septentrionale de la tranchée est creusée dans le Massif du Brabant et montre des formations qui se sont déposées il y a plus de 420 MA (Silurien) et qui sont affectées par la tectonique calédonienne. La partie méridionale de la tranchée expose des formations rougeâtres à la base, vertes au sommet, près de la tour, et faiblement inclinées. Ces roches se sont déposées sur les plages du Massif du Brabant au cours du Dévonien moyen (375 MA). Il y a donc ici une lacune de sédimentation, correspondant à une phase continentale qui a duré entre 40 et 50 millions d’années.

Ces sédiments terrigènes, ainsi que les sédiments plus franchement marins qui les surmontent ont été affectés par la tectonique hercynienne. Au dessus de ces deux “niveaux” plissés, se sont déposées, il y a 55 MA, les argiles yprésiennes qui sont restées en position horizontale, n’ayant pas été affectées par la tectonique (la tectonique alpine n’a eu que peu de répercussions dans nos régions).

On y a découvert…

Conservés depuis plus de 40 ans à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique à Bruxelles, les fossiles issus d’un fragment de roche ont été analysés récemment par une équipe de chercheurs du département de géologie de l’Université de Liège, du Fonds national de la recherche scientifique (Fnrs) et de l’unité mixte de recherche botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes de Montpellier (France). La découverte a été rapportée par la revue Science du 29 octobre 2004 sous le titre: Runcaria, a Middle Devonian Seed Plant Precursor.

Dans le monde de la paléobotanique, c’est un événement considérable. La datation de Runcaria la situe à –385 millions d’années, soit 20 millions d’années plus tôt que les graines réputées les plus anciennes avant cette découverte. Le titre d’aïeule des végétaux à graines était revendiqué jusque-là par deux plantes fossiles: l’américaine Elkinsia, découverte à Elkins, en Virginie-Occidentale, États-Unis, et la belge Moresnetia, mise au jour à Moresnet, un village de la commune de Plombières, en province de Liège. Elles dataient toutes deux de –365 millions d’années, soit du Famennien, la fin du Dévonien supérieur.

Controverse dépassée

«Runcaria a mis tout le monde d’accord parce qu’elle se situe indubitablement dans l’étage géologique du Givetien, qui est séparé du Famennien par le Frasnien», expliquent les Drs Philippe Gerrienne (photo de gauche) et Philippe Steemans (à droite), chercheurs qualifiés du Fnrs à l’Université de Liège. Ils soulignent au passage que ces noms de régions ou de villages belges attribués à plusieurs âges géologiques dans l’échelle stratigraphique internationale témoignent de l’importante contribution historique de notre pays à ces recherches. «La Belgique a été pionnière en géologie, à la fin du XIXe siècle. Nous avions à cette époque les cartes géologiques les plus détaillées au monde», dit Philippe Steemans. C’est lui qui a effectué la datation de la plante en identifiant les microfossiles présents dans son environnement immédiat.

Son confrère Philippe Gerrienne, premier signataire de l’article paru dans Science, rappelle que la vie s’est d’abord développée dans l’eau et que les premières plantes sont sorties de l’élément liquide il y a environ 460 millions d’années. «Ces végétaux primitifs, qui étaient des bryophytes – groupe auquel appartiennent les mousses – ont laissé peu de fossiles, sauf des spores. Par la suite, les plantes terrestres ont progressivement acquis une taille plus grande. Vers –420 millions d’années apparaissent les premières plantes vasculaires. Mais elles restent des plantes à spores et ont besoin pour se reproduire de la présence d’eau liquide, qui permet la réunion des gamètes mâles et femelles d’où naîtra une nouvelle plante.»

Le chercheur liégeois note que les représentants actuels les plus communs de ces plantes vasculaires anciennes sont les fougères, dont l’apparition est toutefois postérieure à celle de Runcaria. À –385 millions d’années, celle-ci marque l’étape la plus importante de l’évolution végétale après l’émergence des tissus vasculaires: l’apparition de la graine, qui a l’avantage de permettre la reproduction à sec. Runcaria, dont la morphologie a déjà un niveau de complexité et de fonctionnalité remarquable, est ainsi considérée comme une proto-graine. La reproduction par graines permet aux plantes de s’affranchir des milieux humides et de conquérir presque tous les environnements terrestres.

L’étape suivante, qui viendra bien plus tard, sera l’apparition des fleurs. Les graines et les fleurs seront des avantages décisifs puisque, poursuit Philippe Gerrienne, «il y a aujourd’hui quelque 270 000 espèces de plantes connues dont 10 000 de fougères contre environ 250 000 de plantes à graines et à fleurs qui représentent la première ressource alimentaire de l’humanité. Les plantes à fleurs (les angiospermes) apparaissent vers –125 millions d’années. Quant aux feuilles, elles sont apparues à peu près en même temps que les graines, mais probablement dans des lignées de plantes différentes.»

Bref, la biodiversité a demandé du temps. «Après l’émergence des plantes terrestres, souligne Philippe Gerrienne, il a fallu 75 millions d’années pour voir poindre les graines et, ensuite, 260 millions d’années pour que viennent les fleurs.» Celles-ci sont apparues au Crétacé, en plein règne des dinosaures. Il y aura ensuite co-évolution entre les insectes et les plantes à fleurs, dont les fruits seront par ailleurs consommés par nombre d’animaux qui se chargeront d’en disperser les graines. Le résultat final est un système de reproduction très compétitif qui domine aujourd’hui largement dans le monde végétal.

Une Belgique équatoriale

L’âge géologique qui voit l’apparition de Runcaria, le Dévonien, est une des six périodes du Paléozoïque, une ère qui s’échelonne entre 542 et 251 millions d’années avant le présent. Précédé du Cambrien, de l’Ordovicien et du Silurien, le Dévonien s’étend sur quelque 57 millions d’années, entre 416 et 360 millions d’années avant le présent. Il verra certains poissons se muer en amphibiens et quitter la mer pour s’aventurer sur la terre ferme. Les plantes avaient déjà franchi cette étape à la période précédente. Au Dévonien, elles gagneront en taille et, qu’elles soient encore à spores ou déjà à graines, formeront les premières forêts qui se multiplieront au Carbonifère, l’avant-dernière période du Paléozoïque. La dernière, le Permien, se terminera par la plus grande extinction massive d’espèces vivantes de l’histoire de la Terre. Celle-ci laissera le champ libre au règne des dinosaures qui domineront l’ère suivante, le Mésozoïque.

Tout au long de ces âges reculés, la géographie terrestre n’avait évidemment pas du tout la même configuration qu’aujourd’hui. À la fin du Permien, tous les continents actuels sont rassemblés en un seul, la Pangée. Une centaine de millions d’années auparavant, au Dévonien, la mappemonde était plus complexe.

L’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Inde, l’Australie et l’Antarctique étaient réunis en un super-continent, le Gondwana, accompagné de deux grandes îles qui, jointes, forment aujourd’hui la Chine. Flanquée d’une grande île qui devait devenir la Sibérie, l’Europe centrale était soudée à l’Amérique du Nord et au Groenland, situé sur l’Équateur.

Nos régions, comme le plus gros de l’Europe occidentale, étaient majoritairement sous eau et les rares terres émergées formaient un archipel qui s’étendait modestement au sud-est du continent euraméricain. «Comme les fossiles du même type que Runcaria se trouvent dans des roches continentales typiques de dépôts sédimentaires de bordure de mer, on peut déduire que Ronquières était, il y a 385 millions d’années, une plage. Le territoire de ce qui est aujourd’hui la Belgique était situé entre l’Équateur et le tropique du Capricorne, à la place de l’actuel Congo», rappelle Philippe Steemans.

Parlant de la formation des roches sédimentaires, le chercheur liégeois explique qu’elle s’opère dans des conditions de pression et de température qui déterminent la nature de la roche, laquelle sera ensuite l’objet de plissements tectoniques. «Parfois, les roches sont cuites dans le sous-sol, et dans certains cas, sous des températures très élevées, fondent pour former le magma.» Ce magma pourra par la suite sortir de la bouche d’un volcan sous forme de lave. Il pourra aussi migrer à l’intérieur de couches géologiques indurées sous forme d’intrusions magmatiques et se transformer par exemple en granite. À ne pas confondre avec le «petit granit», la célèbre pierre bleue wallonne. Celle-ci s’est formée en milieu marin, à base de débris crinoïdes. «Le calcaire ne peut se déposer que dans des endroits où l’eau est très pure. Il était dissout dans l’eau d’une mer chaude puis, suite à des modifications physico-chimiques, il s’est précipité. Le petit granit date du Tournaisien à environ –359 millions d’années, au tout début du Carbonifère», précise encore Philippe Steemans. Runcaria est donc nettement plus ancienne que le petit granit.