Il n’y eut que 24 heures entre l’affichage et la déportation. Le lendemain de l’annonce de la mesure d’enrôlement « volontaire », on vit sur les chemins menant vers Tubize de longues files d’hommes de toutes conditions chaudement vêtus. Quelques femmes accompagnent ce défilé en sanglotant.
En arrivant sur la Grand-Place de Tubize, on aperçoit une foule déjà considérable. Les membres du Conseil communal et du service de ravitaillement sont appelés à haute voix. Ils présentent leur carte d’identité sur laquelle l’occupant appose un cachet, signe de liberté. Ils peuvent s’en retourner d’où ils sont venus. Les autres sont immédiatement dirigés vers l’aciérie de Clabecq, escortés de sentinelles allemandes. Après une attente de plusieurs heures, massés dans la cour l’aciérie, ils entrent un à un dans une salle où des officiers leur infligent un interrogatoire en règle : nom, prénom, adresse, situation de famille, profession, etc. Alors, d’une voix dure et brève, un prussien hurle « à gauche ! » ou « à droite ! ». L’ordre « à droite » signifie l’esclavage.
Ceux qui se disent malades subissent la visite d’un médecin. Certains, en feignant n’être pas en bonne santé échappent à l’embarquement qui se fait immédiatement. Une longue file de wagons stationne non loin de là et les hommes désignés à la déportation sont hissés sans grand ménagement dans les voitures destinées habituellement au transport de bestiaux ou de marchandises.
Ceux qui restent à quai donnent leurs provisions, leurs vêtements et leur argent à leurs frères qui partent en esclavage.
Une foule compacte de femmes, de vieillards et d’enfants sont arrivés rapidement sur les lieux après avoir appris que les leurs allaient être déportés le jour même. L’ordre de départ du convoi est sifflé par un officier et vers 17h30, le train démarre lentement. Les prisonniers entonnent alors la « Brabançonne » qui retentit dans l’usine. Les cris d’adieu, les pleurs des femmes et des enfants se font aussi entendre. Quatre cents hommes de Quenast se trouvent à bord de ce train. Autant de Rebecq, de Wisbecq (Saintes) et de Bierghes s’en vont eux vers Bruxelles, puis en Allemagne où ils passeront de durs moments de souffrances et de privations.
Bientôt, les maigres provisions de bouche auront été consommées et c’est affamés, épuisés que les hommes arriveront quelques semaines plus tard sur le lieu de leur captivité. On a extorqué à ces malheureux un engagement « volontaire », alors qu’on les conduit en esclavage. La véritable raison de cette déportation : un ouvrier de chez nous déporté prendra la place d’un ouvrier allemand et celui-ci deviendra un soldat de plus dans l’armée allemande, de quoi renforcer les troupes.