Article original paru dans « Entre Senne et Soignes » n° 20 – 1975

Auteur: Abbé Léon Jous, curé d’Ecaussinnes-Lalaing

Niché au point de rencontre de la Samme et de la Sennette, le joli village de Ronquières est surtout connu pour son fameux plan incliné. Mais ce que nous allons découvrir aujourd’hui est tout simplement une humble chapelle perdue dans les frondaisons au sommet d’une butte: la chapelle dite du Bon Dieu de Pitié.

Au lieu-dit Chenu, près du canal, elle dominait l’ancienne route de Nivelles à Braine-Le-Comte. Nombreux sans doute furent les Ronquiérois de jadis ou les voyageurs attardés à pousser un « ouf » de soulagement et à dire une prière en passant devant cette chapelle à la nuit tombante car jadis les routes étaient peu sûres et les bois proches le repaire de nombreux brigands .

Description de la chapelle

Construite au milieu du XVIeme siècle, la date de 1553 figure à l’angle côté sud, cette chapelle  a été bâtie à partir de divers matériaux arrachés aux carrières voisines.  Ainsi, les angles de la façade s’ils sont en pierre d’Ecaussinnes, se marient très bien avec les contours des fenêtres en grès de Feluy. Quant aux épis, ils sont constitués de grandes briques cuites localement, de type dit « espagnol ».

Les parements sont schisteux, agrémentés ça et là de quelques pierres bleues dites « petit granit » d’Ecaussinnes.  La toiture, elle, est faite d’ardoises naturelles si difficiles à trouver aujourd’hui.

Si nous pénétrons à l’intérieur de cette chapelle dont l’entrée est clôturée par une grille en fer forgé, nous constatons que le sol est couvert de carreaux de terre cuite comme peut encore en voir à la cure d’Ecaussinnes-Lalaing.

L’abside à trois pans abrite une niche en pierre de style renaissance.

Son encadrement est formé de deux colonnes ioniques surmontées d’un architrave. Une banderole court sous cet ornement. Elle porte cette inscriptio : « Mr Joes Anthonus ». Elle nous rappelle le nom de Maître Jean ( Joannes = Joes) Anthoine, curé de Ronquières en l’an de grâce 1553, date présumée de l’érection de cette chapelle.

Qui était  Maitre Jean Anthoine?

C’était le descendant d’une vieille famille de la région.

En effet, les Ant(h)oine sont déjà à cette époque très nombreux dans le triangle Soignies – Braine Le Comte – Ronquières. Fermiers cossus et très prolifiques, on les retrouve décimateurs des abbayes de Cambron, échevins et maïeurs de leur village. Ils portent d’ailleurs blason de « gueules à 3 clochettes d’argent ».

Maître Jean Anthoine était donc « quelqu’un » à Ronquières et tout nous porte à croire que c’est de ses deniers personnels qu’il fit élever la chapelle. Peut-être, les Anthoine qui, durant deux siècles, occupèrent les grandes fermes cisterciennes d’Hauru et du Chenois, à Ronquières, n’étaient-ils pas des inconnus pour lui ?

Le bon Dieu de Pitié

Lorsque nos yeux se sont habitués à la pénombre, nous apercevons au fond de la chapelle une niche abritant une statue en terre cuite d’un mètre de hauteur. Elle es faite de deux pièces qui s’emboitent l’une dans l’autre et représente le Christ de pitié qui, à lui seul, symbolise toute la tragédie du Sauveur. Le peuple le sentait spontanément et c’est la raison pour laquelle tant de ces représentations jalonnaient jadis nos carrefours et nos cimetières.

Ce Christ diffère de nombreuses images par la forme du socle sur lequel il est assis, socle qui affecte la forme d’un tabouret cylindrique. Il n’est pas impossible que la statue ait été créée au moment de l’érection de la chapelle. Elle est assez courte de proportions et son anatomie est sommaire. La tête est légèrement penchée sur l’épaule mais l’attitude reste très frontale.

Complétons cette description volontairement sommaire en disant encore que le Christ est représenté assis sur un rocher. Il est bien sûr couronné d’épines, dépouillé de son manteau et les mains liées, tenant un roseau suivant l’iconographie traditionnelle mais ce n’est pas le Christ au prétoire devant Pilate.

C’est le Christ qui attend sa crucifixion, tandis que les soldats achèvent les derniers travaux en vue du supplice. C’est le Christ dans a dure montée au calvaire, le Christ épuisé qui , une dernière fois, se repose au bord du chemin rocailleurs avant d’affronter la mort.

Le soubassement de l’ensemble porte cette inscription: « Ecce Hôo » pour « Ecce Homo ».

Comme on peut s’en douter, cet édifice fut maintes fois restauré au cours des siècles. Une date, 1741, figure sur la façade sus. Elle coïncide avec le décès de Dame Catherine d’Aulchin. Peut-être fut-elle bienfaitrice de cette chapelle, qu’elle restaura comme devait le faire vers 1929 l’érudit curé de Ronquières l’abbé Malherbe ?

Sauvetage de la chapelle.

En 1959, le service des canaux houillers avait décidé d’exproprier cette chapelle pour les gigantesques travaux de modernisation du canal de Charleroi à Bruxelles. Les amoureux de l’art s’en  émurent, bien que la démolition du site « pour cause de glissements de terrain possibles » ait déjà été envisagée.

Après de multiples interventions auprès des autorités civiles et religieuses, l’horizon s’éclaircit. Le 7 septembre 1964, les Ronquiérois apprennent que leur chapelle est définitivement sauvée.