A. Les écluses 54 et 55

Les écluses n° 54 et n° 55 qui étaient situées à Bruxelles, plus particulièrement à Molenbeek-Saint-Jean, dans la deuxième section du canal, furent mises à grande section respectivement en 1892 et en 1897 (fig. 97 et fig. 98).

Quelques années auparavant, en 1864, MOMMAERTS et HAUBRECHTS, respectivement échevin de la commune de Molenbeek-Saint-Jean et ingénieur civil, avaient élaboré un projet audacieux. Celui-ci visait à détourner le canal de Charleroi vers leur commune afin d’approprier à l’industrie une grande portion de son territoire jusqu’alors resté à l’écart des zones de développement.

Ce projet de dérivation du canal de Charleroi fut conçu en liaison avec le projet d’un canal maritime destiné à faire de Bruxelles un port de mer et avec le programme d’assainissement de la Senne dans la traversée de Bruxelles, mais également avec le projet de raccordement des stations de chemins de fer du Nord et du Midi en dehors de la ville.

Ce projet de dérivation n’eut pas de suite mais il est intéressant, cependant, de connaître l’opinion que ses auteurs avaient de la mise à grande section. Ils disaient notamment ceci : “ .. L’idée d’établir le canal de Charleroi à grande section en tout ou en partie n’est pas nouvelle; si elle devait recevoir un commencement d’exécution vers Bruxelles, elle nécessiterait la construction de nouvelles écluses, qui ne pourraient que très difficilement se faire où sont établies celles qui desservent actuellement le canal; elle entraînerait, en outre, la grande dépense de devoir construire un mur de quai indispensable …“.

Pourtant ces écluses ainsi décriées virent le jour, après que furent surmontés les obstacles et entraves multiples résultant principalement du fait que les travaux devaient être exécutés dans des espaces excessivement restreints puisque situés en pleine agglomération et sur tout dans le voisinage immédiat de la voie d’eau en exploitation.

A l’écluse n° 55, les fondations et la partie inférieure du sas furent établies grâce à un caisson à air comprimé de 53,352 m de longueur sur 12,50 m de largeur. Ce caisson fut descendu contre la paroi postérieure de l’écluse existante, maintenue en service. L’ouvrage et tous les travaux de raccordement furent achevés en un délai de 40 jours de chômage.

Les nouvelles écluses avaient une largeur de six mètres afin de permettre aux bateaux du Rhin fréquentant le port de Bruxelles d’atteindre le faubourg industriel de Molenbeek-Saint-Jean.

Le coût des travaux s’éleva à environ 2.000.000 de francs, pour l’écluse proprement dite et les ouvrages d’art annexes : pont fixe,pont basculant, passerelle pour piétons et pont-canal avec bâche métallique de 15,40 m de longueur et 6,90 m de largeur.

B. Le canal entre l’écluse n 12 et l’écluse n 54

a) Problèmes d’exploitation

Pour achever la mise à grande section du canal, il restait à transformer la partie de la voie d’eau située sur le versant de la Senne et qui s’étend de l’écluse n° 12 à Seneffe jusqu’à l’écluse n° 54 à Bruxelles. Le tronçon à aménager s’étendait sur 47,25 km.

A cette époque, l’exploitation du canal présentait une particularité elle était pour une moitié à 70 tonnes et pour l’autre moitié à 300 tonnes. La gestion par l’Etat s’effectuait sur la base des prescriptions du règlement édicté par arrêté royal le 10 mai 1889.

Sur la partie du canal à grande section et vers les embranchements du Centre, le halage était libre, s’opérant presque exclusivement par chevaux, rarement par homme. Sur la partie du canal à petite section, c’est-à dire depuis l’écluse n° 13 située à Seneffe jusqu’à Bruxelles, la traction des bateaux se réalisait par chevaux et faisait l’objet d’un monopole. Les droits de navigation étaient fixés à 0,005 francs par tonneau de 1.000 kilogrammes et par kilomètre de parcours. Les bateaux vides n’acquittaient aucun droit et n’étaient assujettis qu’à une rétribution de 20 centimes moyennant laquelle il leur était délivré un permis de circulation. La perception des droits se pratiquait à chacune des extrémités du canal, à Marchienne (écluse n° 3) et Bruxelles (écluse n° 54) et en deux points intermédiaires, à Seneffe (écluse n° 13) et à Clabecq (écluse n° 46).

Le montant des droits perçus en 1896 était de 219.066 francs. Ce chiffre était l’un des plus bas enregistrés depuis la mise en exploitation du canal. De 1834 à 1848, les recettes du canal de Charleroi se situaient entre 536.837 francs et 1.553.842 francs, soit une moyenne de 1.089.637 francs. La réduction des recettes de 35% résultant du nouveau tarif de 1849 fut peu notable. L’augmentation de celles-ci reprit d’ailleurs malgré une nouvelle réduction du tarif à l’exportation accordée en 1850 et certaines exemptions de péages accordées en 1859.

De 1849 à 1860, les recettes grimpèrent jusqu’à 1.453.782 francs et une moyenne annuelle de 1.299.162 francs.

Cette période marquait l’apogée du canal. En 1860, une nouvelle loi uniformisa le mode de perception des droits de navigation et les réduisit par lieue de 5.000 m aux taux suivants :

— par tonne de chargement 0,048 F

— par tonne de capacité du bateau : 0,016 F

— par tonne de capacité (retour à vide) : 0,016 F.

Ces nouveaux taux équivalaient à une réduction de 40% des droits de péage.

En 1861, les recettes tombaient à 991.528 francs au lieu de 1.353.628 francs en 1860. Cette diminution allait se poursuivre avec parfois de brèves velléités de remonte. Pour la période de 1861 à 1872, la recette moyenne annuelle chuta à 710.171 francs. Le développement du trafic sur le canal de Charleroi paraît donc arrêté dès 1870. Les droits de navigation furent fixés, en 1872, à 0,01 franc par tonne et par kilomètre, ce qui constituait un petit relèvement pour les bateaux chargés, les bateaux vides ne payant que 0,20 franc, quel que soit le parcours.

Ces droits, comme on l’a vu, furent encore réduits en 1886 à 0,005 franc par tonne.km de chargement. Ces multiples réductions firent tomber les recettes, la balance recette-dépense restant cependant positive. C’est ainsi qu’en 1896, on enregistra un excédent de recettes d’environ 650 francs par kilomètre, nonobstant le nombre exceptionnellement élevé d’ouvrages d’art à entretenir et à manoeuvrer et la grande longueur des digues à maintenir en bon état d’étanchéité.

b) Mise à grande section du canal entre les écluses n° 12 et n° 23

1899 vit l’adjudication publique des travaux de mise à grande section du canal de Charleroi entre les écluses n° 12 et n°23, situées respectivement sur le territoire des communes de Seneffe et d’Arquennes.

Comme le rappelait l’Ingénieur principal des Ponts et Chaussées, E. LEFEBVRE, dans les Annales de Travaux publics de Belgique, en 1899, “… ces travaux formaient la continuation de ceux entamés en conformité de la loi du 4 août 1879, qui décrétait la transformation de cette voie navigable et sa jonction avec le canal de Mons à Condé par la construction du canal du Centre, en vue d’assurer, d’une part, l’écoulement à des prix plus avantageux des charbons des trois importants bas sins houillers du Hainaut tant vers Bruxelles et Anvers que vers le nord de la France, et de permettre, d’autre part, aux produits importés par la métropole commerciale du pays et par le port et le canal maritimes décrétés, à l’époque, à Bruxelles d’atteindre plus économiquement la Meuse canalisée et les départements de l’est de la France …“

Le but de ces travaux était d’élargir et d’approfondir le canal sur un développement de 6.436 mètres. Dans cette section, le canal à 70 t de l’ingénieur VIFQUAIN comportait 10 écluses de 19 m de longueur utile et de 2,70 m de largeur, rachetant une hauteur totale de 20,176 m, soit une chute moyenne de 2,018 m par écluse. Les biefs mesuraient de 460 à 775 mètres. Sur le tronçon considéré, les travaux permirent de réduire le nombre des écluses à cinq, avec pour chacune une chute de 4,10 m, les biefs créés ayant des longueurs variant de 1.065 mètres à 1.497 mètres.

Le tracé du canal suivait celui du canal existant et le nouvel axe ne présentait, par rapport à l’ancien, pas d’autres changements que ceux nécessités par les dérivations réalisées pour les écluses nouvelles.

D’importants travaux de consolidation furent entrepris principalement au niveau des flottaisons pour la défense des talus de la cunette. Ces travaux comprenaient notamment des perrés et des fascinages de soutènement disposés et constitués pour résister d’une part aux fluctuations du niveau des eaux qui se produisaient inévitablement dans les différents biefs lors des éclusées des bateaux, et, d’autre part, aux coups de gaffe des bateliers, et aux dégradations provoquées lors des dégels.

Les 5 écluses nouvelles de 4,10 m de chute, remplaçant les 10 écluses anciennes, avaient chacune 5,20 m de largeur, 40,80 m de longueur utile et 45,50 m de longueur entre les buscs. Quatre écluses furent établies en dérivation et la cinquième construite dans la cunette du canal à 70 tonnes. Pendant la construction de cet ouvrage, la navigation fut assurée par une dérivation provisoire du canal.

Pour réduire les dépenses d’eau pendant les sécheresses , chaque écluse fut munie de deux bassins d’épargne à ciel ouvert, chacun de même surface que le sas. Ces bassins furent disposés de manière telle que leur manœuvre ne puisse nuire au bon écoulement du trafic de la voie navigable tout en permettant d’économiser les 9120 de chaque éclusée.

c) Mise à grande section du canal entre les écluses n° 23 et n° 41 (Arquennes et Ittre)

De multiples adjudications étalées de 1905 à 1913 furent organisées pour l’élargissement de cette section. Le coût total des travaux ainsi adjugés s’éleva à 18.709.063 francs. Tous les travaux furent achevés en conformité avec le programme de 1879.

d) Transformation du canal de Charleroi entre Clabecq et la place Sainctelette à Bruxelles Pour la partie du canal à améliorer entre Clabecq et le canal de Bruxelles au Rupel, une controverse s’ouvrit sur la question de savoir si on ne pouvait adopter des normes plus grandes permettant à des bateaux d’un tonnage supérieur à 300 tonnes de pénétrer jusqu’à Clabecq, afin de favoriser le développement du port intérieur de Bruxelles ainsi que les industries établies le long du canal et surtout d’encourager la création d’industries nouvelles.

L’adoption de ce nouveau gabarit conduirait toutefois à devoir inéluctablement modifier le programme de 1879.  D’autre part, la solution de cette question était liée à celle du déversement dans le canal des têtes de crue de la Senne.