Pour le curage du canal, il y a la drague, sorte de gros cafard métallique sale et puant. Des godets fixés à une chaîne sans fin plongent sous l’eau, raclent le fond de la cunette et ramènent à la surface dans un bruit d’enfer et de gémissements de machine à vapeur, une boue noire, écœurante dont se nourrit une méchante barge qui ira bientôt recracher le tout sur quelque décharge au diable vauvert. La drague a beau faire la toilette du canal, personne ne lui en sait gré ! On ne l’aime pas !

L’hiver au bord de l’eau est plus pénible qu’ailleurs : brume et brouillard, froid humide, friselis d’eau glacée, nuées de corbeaux dans les peupliers nus, bateaux fantômes conduits par des ombres encapuchonnées qui se calfeutrent. C’est la désolation et le silence. Un pauvre théâtre abandonné sans acteur, ni public.

Mais quand le printemps revient et que les bosquets du rivage se remplissent de fleurs sauvages, la joie éclate dans les cœurs et les enfants en ribambelles s’en vont cueillir les premiers bouquets de l’année. D’abord, les jonquilles (godets) d’un jaune éclatant, du soleil tout neuf jaillissant du terreau. Puis, les jacinthes (clés de bois) aux grappes bleues plus difficiles à assembler en bouquets. Enfin, les timides anémones blanches qui n’intéressent déjà plus personne.

C’est à la saison des godets que débarquent à la gare de modestes fleuristes de la Capitale, sans doute marchandes à la sauvette, venues s’approvisionner gracieusement à la source. Elles empruntent le sentier du canal et disparaissent au loin, là où les jonquilles prolifèrent en liberté à l’abri des jeunes riverains prédateurs. On les voit revenir l’après-midi, portant en équilibre sur la tête, leur cueillette du jour enrobée dans une nappe à carreaux nouée aux quatre coins… Plantureuses cariatides en tablier de coton ou fragiles Perrette, comme on en voyait en chromos sur les enveloppes d’un chocolat Meurisse : le bâton au lait « Perrette » !