Article original paru dans « Entre Senne et Soignes » n° 12 – 1972

Auteur: Gérard Bavay

Aujourd’hui encore, lorsque le touriste passant par Nivelles se dirige vers Ronquières et son plan incliné, un site ne peut manquer d’attirer son regard. Formant comme une grande toile de fond au village et aux installations du plan incliné, s’impose à ses yeux un relief assez marqué : le bois de la Houssière. On voit, de même, sa grande masse sombre s’élever à l’est et barrer largement l’horizon, lorsque de Mons on se dirige vers Bruxelles, que ce soit par la route ou par le rail.

Ce bois, quoiqu’aménagé depuis longtemps, reste l’un des vestiges de la foret carbonifère et couvre encore de nos jours une superficie avoisinant les 550 hectares. Situé aux confins des provinces de Hainaut et de Brabant, il s’étend sur les communes de Braine-Le-Comte, Ecaussines, Virginal, Ronquières, Hennuyères et Henripont.

On comprend aisément qu’aux temps préhistoriques des hommes qui n’avaient pour se protéger de leurs ennemis naturels que de rudimentaires armes de pierre et les accidents du relief, aient très tôt occupé l’un ou l’autre point de ce relief privilégié.

Privilégié, il l’était sans nul doute. La moindre promenade, la première carte quelque peu détaillée nous feront connaître directement la nature et les avantages naturels de ce site: un plateau étiré en longueur sur une bonne demi douzaine de kilomètres et la largeur dépasse rarement les 400 ou 500 mètres. On verra aussi qu’il est délimité par des pentes souvent assez raides. Et si le relief aux environs ne dépasse que par exception les 100 mètres, ici il atteint aisément 150 à 160 mètres et s’y maintient presque sur toute la longueur du bois.

Depuis bien longtemps déjà, des amateurs ont parcouru le bois et, un peu partout, y ont découvert le silex taillé ou poli, signe évident du passage et du séjour de l’homme en ces endroits au temps de la préhistoire.

Vers le milieu du XIXeme siècle, l’archéologie préhistorique en était encore à ses premiers balbutiements. Mais, dès 1857, le docteur Cloquet signalait quatre sites préhistoriques sur le territoire des communes de Braine-Le-Comte et de Henripont. Trois de ces sites étaient situés dans le bois même tandis que le quatrième se trouvait directement en bordure du bois non loin de la chapelle de Notre-Dame de Grâce.

En 1894, ces premières indications furent étoffées de nouveaux apports. J. Croquet publie à ce moment dans les Annales du Cercle Archéologique d’Enghien une étude d’une dizaine de pages sur ces sites. Il y déclare notamment : « Dans le périmètre de ces endroits privilégiés le sol est jonché de silex ou d’instruments en pierre taillée ou polie.  L’abondance des pièces découvertes semble indiquer une occupation de longue durée et marquer le point précis où existaient des ateliers de fabrication, de taille et de polissage. Les remaniements successifs du sol nécessités par l’exploitation des sablonnières, les plantations de bois et la culture, amènent au jour nombre d’objets enfouis depuis des siècles. » Il déclare également avoir recueilli dès cette époque 2000 éclats et outils de silex de formes variées.

Il signalait aussi l’existence dans le même bois de deux tumuli. L’un d’eux, encore visible aujourd’hui, forme un tertre d’un diamètre de neuf à dix mètres et haut de trois ou quatre. Il est situé le long de ma route qui relie Braine Le Comte à Fauquez. Il semble d’origine romaine.

Sans doute est-ce ce même tumulus qui fut l’objet d’une fouille menée en 1919 par le Service National des Fouilles. Cependant, le site n’a pas été étudié complètement et on peut supposer qu’il réservera encore des surprises.

Mais si, comme on l’a vu, on se réjouissait à la fin du XIXeme siècle des remaniements de terrains qui amenèrent au jour les vestiges anciens, les choses ont bien changé et les chercheurs actuels tirent bien moins de joie de ces événements.

L’archéologue ne cherche plus avant tout l’objet unique, isolé et sans signification. Ce qu’il veut découvrir et fouiller, ce sont les sites en place, des sites dont la structure a peu varié depuis le jour où les hommes les ont abandonnés. Et ici, le bois de la Houssière peut encore leur donner bien des satisfactions. En effet, au cours de l’Histoire, les défrichements se sont arrêtés au pied même des pentes du plateau tel qu’il a été décrit plus haut. De cette manière, les endroits qui ont été occupés par l’Homme n’ont jamais connu le labour profond qui a bouleversé la plupart de nos sites de plaine et qui les disperse chaque jour davantage.

Le paléolithique a jusqu’ici livré peu de choses. Tout au plus peut-on signaler un racloir apparemment Moustérien de type Quina datant d’environ trente mille ans avant notre ère. D’autres silex semblent dater de périodes aussi anciennes, mais présentent des caractères moins typiques, moins affirmés. C’est surtout du côté des anciennes bruyères vers Virginal qu’on a pu en recueillir.

Si le paléolithique a laissé peu de vestiges, le mésolithique livre des sites relativement en place, sinon très riches. C’est sur le front de l’exploitation de la Sablière Pardons dans le Sud du Bois, que les silex les plus intéressants ont été recueillis. Il s’agit souvent d’outils fort petits ( de un à trois centimètres) fréquemment appelés microlithes.  Ils sont les témoins, au niveau de l’industrie lithique, du passage du paléolithique ( civilisation de prédateurs et de nomades) au néolithique, plus marquée par la sédentarité, la pratique de l’agriculture et plus accessoirement par le polissage de la pierre.

Cette dernière phase de l’âge de la pierre est abondamment représentée sur tout le pourtour du bois et surtout sur les versants orientés à l’est. Mais cette constatation résulte peut-être du manque d’investigations précises sur le côté Nord-Ouest.

Pour les hommes du néolithique cependant, divers sites naturels s’échelonnant du côté du versant sud-est du bois présentaient, semble-t-il des avantages certains. On trouve, en effet, le silex en relative abondance soit directement sur le versant et plus particulièrement sur sa partie haute et riche en sable, soit sur les crêtes des collines directement rattachées au bois et au massif qui porte son nom.

L’age du bronze est fort bien représenté par une hache à talon de bonne facture, apparemment coulée et découverte par un fermier de Hennuyères.

Si l’archéologue questionne un peu les familiers de ces sites, on lui parlera encore du lieu-dit la «  table de pierre » ou la « table des marchands ». Une carte du bois datant du XVIIIeme siècle place d’ailleurs au coeur du bois un assemblage  de grosses pierres. Peut-être faut-il penser à l’un ou l’autre dolmen contemporain des aligements de Carnac ou des vestiges mégalithiques de Weris ?