D’après un texte original de Robert Cotyle publié dans « Hainaut Tourisme » numéro 126 de mars 1968.

Ces trois rivières, par leur radical, se ressemblent et ont conservé leur nom gaulois, la Senne, dont le toponyme fut très rayonnant, à la fois dans la région romane du pays où elle prend sa source et dans la région flamande où elle termine son cours.

Les noms SEN, SON, SAM, SEM qui se rencontrent sur le cours de la Senne, paraissent dériver, comme le dit si bien Mr Hano  de Louvet dans son livre « Etudes étymologiques des noms de lieux » d’un nom primitif à radical « SAM » désignant la rivière elle-même. Ce radical est souvent rappelé dans l’hydronymie ancienne de nos régions.

Du radical « SAM » on arrive à « SENNA », en passant par les formes « Samina », « Semina », et « Semna » et tandis que la forme « Senne » prévaut dans la région flamande, la forme « Samme » ou « Somme » est particulière à la région romane.

Senne, ou Samme, en ancien gaulois, signifie « eau tranquille ».

Mais comment se présente le bassin de la Senne avec les appellations actuelles qui doivent donc leur nom à l’eau tranquille?

C’est à Naast, en Hainaut, que la Senne prend sa source. Elle baigne Soignies, entre en Brabant où, après avoir traversé Tubize, elle se grossit à droite de la Sennette ( petite Senne). Entre Drogenbos où elle passe et Bruxelles, la Senne reçoit à gauche la Zunne. Après avoir traversé Bruxelles et Vilvorde, la Senne coule à proximité de Zemst, pénètre dans la province d’Anvers et se jette dans la Dyle, au nord de Malines, au lieu dit Zenne-Gat ( trou de la Senne).

Revenons à la Sennette, le principal affluent de la Senne. Elle prend naissance en Hainaut, près de Familleureux, arrose Marche-lez-Ecaussinnes, les deux Ecaussines, Ronquières où elle était rejointe, à droite, par la Samme, baigne Virginal-Samme, et se jette enfin dans la Senne en aval de Tubize.

La Samme, autrefois sous-affluent de la Senne et affluent de la Sennette, se jette désormais dans le canal de Charleroi à Bruxelles à Ronquières. Elle prend également sa source en Hainaut, à Besonrieux, arrose, Seneffe, reçoit le ruisseau de Renissart en amont d’Arquennes qu’elle baigne, s’engage en Brabant sur le territoire de Bornival où elle se grossit de la Thine ( qui vient de Nivelles où elle reçoit la Samiette). Elle rejoignait autrefois la Sennette à Ronquières à proximité de l’ancien moulin.

Enfin, la Senne donne son nom à la forêt de Soignes qu’elle traversait jadis, ou longeait autrefois. Comme l’ancienne forêt de Seneffe appelée aussi forêt de Senophe ( sephophia sylva) dans un cartulaire de l’ancienne abbaye de saint Feuillien du Roeulx.

A vous…

Si la toponymie vous fait dériver d’un même radical, la géographie, l’histoire, la civilisation vous groupent et vous inscrivent sur le même arbre généalogique, le même baptème vous unit en une suite d’analogies remarquables…

Vous êtes nées dans la partie occidentale des bas-plateaux limoneux. Votre cours rapide dans sa partie supérieure creuse une vallée assez profonde et se taille un lit rocailleux dans un sous-sol dur; il dessine ensuite paresseusement, dans sa partie moyenne, ses larges méandres bordés de gras herbages. Il se repose enfin dans sa partie inférieure, après avoir déposé sur ses rives des alluvions humides, où croissent nombreux les iris aquatiques.

Vos vallées largement évasées abritent nos villes et villages construits sous des toits plus que centenaires.

Vous avez tracé à l’homme primitif des voies de communication en lui apportant, par flottage, vos troncs d’arbres abattus sur vos rives, en lui permettant son approvisionnement en silex par radeaux ou « kerques » chargés de matières premières nécessaires à votre économie et en lui offrant, dans les tribus sédentaires de vos plateaux d’interfluve, la douce musique de vos eaux claires.

A l’homme industrieux, vous avez fourni une source d’énergie encore vivace dans nos souvenirs. Ici c’est la roue d’un vieux  moulin qui se repose, fatiguée. Là c’est une ancienne scierie de pierre ( « scierie à l’eau ») qui rougit de son délabrement après avoir usé l’acier de ses armures dans le petit-granit arraché à votre sol. Plus loin, la forge archaïque aux lourds « macas » ( marteaux-pilons) a été remplacée par la forge moderne, dont les bras sont mus par l’énergie électrique.

Vous avez été choisies comme frontières. Vous-mêmes ou vos affluents avez servi de bornes entre le Duché de Brabant et le Comté de Hainaut. Des forteresses avancées des ces principautés, des châteaux-forts, des tours aujourd’hui conservés, parfois anéantis, ont défendus vos gués et vos ponts.

Vos viviers, vos étangs, vos eaux limpides ont procuré aux seigneurs de vos bourgs et aux serfs de vos seigneuries une nourriture riche en phosphore, à une époque où la religion catholique prescrivait le poisson quatre jours par semaine.

Vos affleurements exploités depuis des siècles ont vu naître, le longs de vos cours, des carrières de schistes, de grès, de calcaire carbonifères… et de loin, nous entendons encore de vos chantiers laborieux le bruit cadencé des maillets. Des monuments historiques, oeuvres de vos sculpteurs et de vos artisans, disent aux touristes qui parcourent notre pays :  « nous avons vu le jour sur les bords de la Senne, de la Sennette et de la Samme. Ce sont des enfants de là-bas qui nous façonnés et notre sein porte encore le sigle altier de leurs maîtres carriers. »

Vous avez aussi aidé à l’économie domestique de nos anciens foyers en créant en vos basses eaux des lavoirs publics, rendez-vous des gaies lavandières du temps jadis.

Vous avez vu s’épanouir sur vos berges des cités, habitat de prédilection choisi par nos aïeux. Non loin de l’emplacement de vos cavernes, de vos huttes primitives, le fier Romain est venu construire sa somptueuse villa. C’est avec vos eaux lustrales qu’il a lavé le corps de ses défunts avant de les brûler sur le bucher et de déposer les cendres recueillies dans les urnes funéraires, confiées pieusement à des nécropoles sacrées, « paradis »,  « coqueriamonts », « tombias » très souvent inviolés.

Après le Romain, le Franc guerrier a parcouru vos campagnes pour supplanter la civilisation primitive en lui imposant ses moeurs et ses traditions. Il repose en paix au pied des rochers des belles dames et à la vallée des loups. Les siècles suivants vous ont choisies pour bâtir non loin de vos eaux, leurs châteaux, leurs prieurés, leurs chapelles castrales, leurs églises, leurs industries…
Trempée dans ce bassin actif, une race particulière a grandi. Protégés par Sainte Barbe ou Saint Eloi, des hommes travailleurs et tenaces ont lutté pour défendre leurs libertés et pour reconquérir leur indépendance quand elle était perdue.

Soignies sur la Senne, Ecaussinnes sur la Sennette, Feluy et Arquennes sur la Samme furent pendant l’occupation nazie des centres très actifs de résistance et de lutte contre l’occupant. La Gestapo les considérait comme des maquis dangereux composés d’hommes décidés à mourir debout plutôt qu’à vivre à genoux. C’est ce qui explique la grande sympathie que nous avons toujours témoignée à ces hommes simples et droits au coeur tranquille et bon mais à la tête aussi dure que la pierre qui les a vus naître et qui court sous leurs pieds.