A.    L’accident

Aujourd’hui, la grande peur des parents est de voir leur enfant renversé par une voiture. Hier, c’était de le voir tomber dans l’eau. Pour prévenir l’accident, ils disposaient d’un stock de recettes éprouvées.

Des histoires édifiantes qu’ils inventent et transforment à leur gré. L’enfant sait à peine parler qu’il balbutie déjà l’histoire de la petite fille qui s’approche trop près du bord et glisse dans l’eau, royaume aquatique d’un grand chien méchant qui la dévore à belles dents. Une « fille » c’est plus émouvant et le « chien » bien plus redoutable que l’eau paisible du canal ! Astucieux nos Vieux !

Pour d’autres, c’est un « pépère » à crochètes qui agrippe les enfants désobéissants et les attire dans les abysses… !

Des chansons dramatiques qu’on chantonne en chœur dans le noir autour du poêle à charbon.

 « La Légende des Flots Bleus » de Christiné et Dalbret (1914).

Ils sont partis sur la barque légère , les trois petits gars, Ils sont partis se disant que leur mère Ne l’saura pas.. ..le vent se lève et la barque chavire les flots berceurs font pleurer bien des yeux, petits-enfants, prenez garde aux flots bleus ! ..et perlent aux yeux les grosses larmes !

« L’Etoile du Marin » de Dumont et Benech (1921) avec en filigrane l’allusion au « Titanic » (1912).

Dans le salon doré du grand transatlantique La fête bat son plein, le bal est magnifique.. …puis c’est l’inévitable naufrage !

L’événement dramatique qu’on exploite…

Le 19 avril 1906, le premier navire école belge fait naufrage dans le golfe de Gascogne. Parmi les victimes, un cadet de marine de 18 ans, Raoul Charlemain, résidant à Ronquières. Son père est cadre supérieur à la Verrerie de Fauquez.

Tous les ans, la presse rappelle l’événement (Encore RTL l’an dernier). Le jour de la Toussaint au cimetière, les familles recueillies s’arrêtent devant la plaque de marbre dédiée à la jeune victime. Dans un médaillon, son portrait en uniforme…

La crainte qu’on inocule aux enfants de tout ce qui porte képi et gravite autour du canal

L’éclusier, au demeurant très brave homme, est dépeint comme un cerbère gardant jalousement son écluse.

Les gardes du canal, les conducteurs et surveillants des travaux, sans oublier le garde-pêche, le garde-champêtre et les gendarmes, autant d’épouvantails susceptibles de vous gronder, de vous empoigner, de vous mettre en prison… ! …Et croyez-moi « l’intox » était payante.

B. Le canal tragique

Voir au petit matin sur des barques silencieuses des hommes fermés fouillant de leurs longues perches le fond de l’eau qui refuse de leur livrer une pauvre dépouille, est bien le spectacle le plus sinistre que j’aie jamais vu. Et pourtant, chaque année apporte son lot d’imprévus dramatiques. J’en ai retenu quelques-uns :

  1. Des accidents de travail

La corde d’un bateau retenue par un obstacle se détend brusquement quand l’obstacle cède et emporte dans sa course le jeune tchfali qui ne sait pas nager.

Sur l’écluse, des chevaux, les pattes emmêlées dans la corde, prennent peur. Ils reculent et tombent du haut du sas sur la couverture de leur bateau à l’aval. Un cheval blessé devra être abattu.

  1. Des accidents de circulation sur le sentier du canal

Un Ittrois ouvrier aux Verreries part en vélo à son travail en suivant le canal. La cendrée étant détrempée par la pluie, il roule sur la partie pavée, dérape, tombe et se noie.

Un matin d’hiver, un cycliste employé à la gare de Virginal est déséquilibré par les rails de la grue d’Halvaux. Il glisse sur le verglas et chute dans le canal gelé. La glace résiste. Il est sauvé.

  1. Accidents dus à des erreurs de direction frappant des étrangers ou des riverains de fraîche date

Ponts et écluses ne sont pas éclairés la nuit. Obscurité, brouillard épais, distraction, sens émoussés par la fatigue ou la boisson, on se croit dans la bonne direction et on se dirige en droite ligne vers le canal ou le sas de l’écluse au-delà des garde-corps protecteurs. Les habitués se souviennent bien que certaines nuits il fallait tâtonner du pied ou de la main pour être sûr de bien se trouver sur le pavé du chemin.

  1. Enfin les suicides…

1906 : un militaire marchois ne voulant plus rejoindre sa caserne.

1925 : un ouvrier agricole brainois de 54 ans désespéré.

1946 : une neurasthénique de Gesves en vacances chez sa sœur.

Et pour terminer les amours contrariées      

 1904 : à Oisquercq, deux amoureux de 18 ans se jettent ensemble dans le canal.

Vers 1950, à la limite de Feluy, deux jeunes amoureux liés l’un à l’autre…

Vous voyez que chez nous on peut aussi mourir d’amour !