Jusqu’aux environs de 1930, on a connu conjointement les haleurs et les chevaux de halage, épisodiquement, les tracteurs électriques.

Le chemin de Halage

Court sur la berge, côté gauche, dans la direction aval. C’est la « digue des tchfaux » (digue des chevaux).

Elle a 4 mètres de largeur et comprend une bande pavée pour le cheval, une cendrée pour le conducteur et une surface herbeuse qui descend jusqu’au fossé.

Côté droit, c’est la « digue verte » ainsi nommée car elle est couverte d’une belle et bonne herbe de chaque côté d’un sentier parallèle au canal. A intervalles réguliers, des bornes pour l’amarrage des bateaux, sièges provisoires et providentiels pour les piétons fatigués.

Des haleurs qui sont des « bricoleux » !

Hommes, femmes, enfants, seuls, à plusieurs ou par roulement, parfois pieds nus dans la cendrée, avancent le corps oblique et tendu tantôt sur une jambe tantôt sur l’autre, han ! – han ! L’extrémité de la grosse corde de chanvre se ramifie en autant de branches qu’il y a de haleurs. Sur une large bande de toile forte qui leur ceinture les épaules, ceux-ci appuient de tout leur poids. Cela s’appelle tirer à la « bricole

Le plus dur est le démarrage. Le batelier resté à bord aide ses « bricoleux » en poussant sur sa longue perche. Parfois, quand le vent est favorable, on hisse au mât une petite voile. Cela aide ! Mais pour passer sous les ponts, il faut chaque fois rabattre le tout.

Des haleurs, il y en avait encore quelques-uns vers 1930. N’allez surtout pas les comparer aux « Bateliers de la Volga » de la chanson, toujours sous la menace du knout ! Les nôtres étaient propriétaires de leur bateau (souvent ancien baquet revendu à l’encan) et comme il y avait de la main d’œuvre inutilisée à bord…ils économisaient de la sorte le prix du halage par cheval. (En 1880 : 0, 1439 frs par 500 m parcourus plus 70 % de ce prix pour « chaque tonne chargée de mille kilos »). Si besoin en était, cette économie pouvait aussi leur permettre de rembourser plus rapidement l’argent emprunté.

La batellerie, entreprise familiale, n’était pas concernée par les premières lois sociales de 1889 traitant de la protection des femmes et des enfants au travail.

A l’origine (1832), un service de haleurs était prévu pour tirer les bateaux. Dès l’année suivante, les mariniers ont été libres de choisir leur mode de traction. Beaucoup ont préféré alors le bon cheval de chez nous à l’âne importé d’Angleterre.

Quand on entend crier « les V’là ! », tous les enfants du rivage savent qu’il s’agit de ce qu’irrévérencieusement ils appellent « le Bateau des fous ». Rassurez-vous ce ne sont pas des aliénés, simplement des handicapés. L’enfance est sans pitié !

Sur la péniche, une mère effacée, un père de belle prestance mais accusant une raideur du bras et de la jambe. Leurs enfants, longs et étiques (deux jeunes hommes et une jeune fille, je pense), affligés d’un lourd handicap moteur, sont bien à plaindre. On s’imagine ce que peut être leur vie à l’étroit sur ce baquet. Lorsqu’ils tirent le bateau à la bricole ou tournent à la manivelle des cabestans sur les écluses, ils ont l’air de grands pantins désarticulés sortis tout droit d’un comique burlesque en deux parties du cinéma muet des Verreries de Fauquez. Ils n’arrêtent pas de se quereller en poussant des cris qui ont quelque chose de déchirant.

Garçonnets et fillettes venus là comme chaque fois pour s’amuser prennent peur et se cachent de crainte d’attirer leur vindicte. Mais ils ne les perdent jamais de vue : l’appréhension du danger peut être aussi fascinante que le plaisir.

La traction chevaline

1. Les écuries

Il y a toujours eu des chevaux pour tirer les bateaux. Un seul suffit pour un baquet de 70 t.

Au début du vingtième siècle, il existe encore quelques bateliers propriétaires de leur cheval. Ils le rentrent pour la nuit dans une petite stalle aménagée dans le bateau. Mais en général depuis 1880, à part les haleurs, tous les mariniers sollicitent les services d’une « Société de Halage » disposant d’écuries échelonnées le long du parcours (les « staules »).

A titre d’exemple :

A Clabecq, avant 1910, une écurie jouxtait la résidence de M. De Louvain, exploitant de la traction chevaline sur le canal, rue Provinciale.

A Hasquempont, rue du Halage, les écuries, un peu en retrait des autres maisons, ont été transformées en une belle et grande maison d’habitation (1er canal). — A l’écluse 28, rue des Rabots, (2ème canal) rive droite, nouvelles écuries rasées lors du dernier élargissement.

A Ronquières, avant 1910 (1 er canal), la « Société de Halage » loue les écuries de l’auberge la « Belle Hôtesse », écluse 39.

A partir de 1912 (2ème canal), les écuries sont transférées entre les écluses 26 et 27 (rive gauche). Elles sont prévues pour 16 chevaux et gardées par René Charlier (René du Staule). Le bâtiment est toujours visible de nos jours.

2. Chevaux et « Tchfalis »

Le garde d’écurie

Occupe un appartement ou une maison attenante au « staule ». Chargé de l’entretien des chevaux, il se lève dès 3 h 30 du matin pour les nourrir.

Les conducteurs de chevaux (tchfalis = chevaliers)

Arrivent à 5 h 30 et partent avec leur attelage rejoindre le bateau abandonné la veille afin que le départ puisse avoir lieu à 6 h. Quand deux péniches se croisent, ils échangent les bateaux et reviennent sur leurs pas de sorte qu’ils ne s’écartent jamais bien loin de leur point d’attache. Aux écluses, pour hâter le passage dans le bief suivant, ils aident bénévolement l’éclusier dans ses manœuvres d’éclusage, ouvrant et fermant les portes et vannes situées du côté de la « dique des tchfaux ».

Le soir, l’heure du retour à l’écurie est assez élastique. Comme la journée se termine à 5 h, ils s’arrangent pour abandonner leur bateau le plus près possible de l’écurie afin d’éviter les « haut-le-pied » c’est-à-dire un retour trop long pour les bêtes fatiguées, particulièrement nerveuses et imprévisibles quand elles doivent marcher sans traîner des charges derrière elles.

Durant la guerre 1914-1918

Pénurie de chevaux, réquisitionnés par l’occupant. Il arrive qu’on utilise alors des bœufs, têtus et capricieux, difficiles à récupérer quand on les détèle pour leur laisser brouter l’herbe durant la pause de midi. Dans l’immédiat après-guerre, c’est au tour des mulets, récupération de l’armée, excellents à tout point de vue.

Mais qui sont ces « Tchfalis » ?

Des hommes qui savent conduire les chevaux. Très nombreux avant le règne de l’automobile. Mais ils ne viennent pas « au canal » pour faire carrière ou gagner beaucoup d’argent (en 1897-1898 : 60 % du salaire d’un maçon). Dès qu’ils trouvent mieux ailleurs, ils partent. Il s’agit donc d’une main d’œuvre instable sans cesse renouvelée. On y rencontre :

  1. De jeunes garçons forcés de gagner très tôt leur vie. Jusqu’en 1914, rien ne les oblige à fréquenter l’école. Pourvu qu’ils soient assez costauds, la Société de Halage peut donc les embaucher sans problème. Quand après la guerre 1914-1918, la loi sur la « Scolarité Obligatoire jusqu’à 14 ans » sera d’application, les jeunes candidats tchfalis attendront patiemment l’âge requis à l’école primaire du village. Mais il y en aura de moins en moins car à 14 ans, dans les années 20, bien d’autres emplois plus rémunérateurs s’offrent à eux dans l’industrie.
  2. Des ouvriers d’usine ou des travailleurs agricoles momentanément sans travail

Pas d’assurance chômage. C’était donc pour eux une chance que de trouver rapidement de l’embauche au canal en attendant.

  1. Des errants solitaires tel cet ancien colonel de la Légion Etrangère, port altier, moustache roulée, pour lequel on avait aménagé une chambrette dans l’écurie (le grade oblige !). Il paraît même que les gendarmes le saluaient militairement.
  2. De pauvres hères malheureux, venant d’on ne sait où, rejetés par leur famille, malades, endettés ou buveurs.

Fin des années 20, l’un d’entre eux accompagné d’un petit garçon de 9 ans (fréquentant l’école du village) dormait avec son fils dans l’écurie sur une paillasse dans une stalle inoccupée. Il avalait par poignées du bicarbonate de soude.

D’autres, pour oublier leur misère étaient grands consommateurs de genièvre. Lorsque la loi de 1921 interdit de servir de l’alcool dans les débits de boisson, on les vit se faufiler dans des cuisines accueillantes (1 fr la petite goutte !).

LE « CHEVAL ELECTRIQUE SUR BERGE », EN INTERMEDE !

La « Seconde Révolution Industrielle » nous amena l’électricité et les Centrales Electriques : Bruxelles (1885) et Oisquercq (1889), première Centrale Régionale du pays.

Le 24 novembre 1898 est fondée la « Compagnie générale de Traction Electrique sur les Voies Navigables ». De Bruxelles à Seneffe s’étire un réseau de fils auxquels les tracteurs électriques peuvent s’alimenter. Cette technologie de pointe par trop coûteuse et trop peu souple dans son fonctionnement ne fut expérimentée que durant quelques années.

Au moins eut-elle le mérite de familiariser nos villageois méfiants à la « fée électricité », de permettre le rattachement des entreprises au réseau et de promouvoir l’éclairage public auprès des administrations communales

Un fameux coup de pub en somme !