Depuis le mois d’août 1916, l’autorité allemande s’apprête à exécuter son projet de réquisition de main-d’œuvre par la force, toutes les tentatives pour recruter les ouvriers des zones occupées nécessaires à son industrie en Allemagne ayant échoué. Au sein de certaines entreprises de grande envergure, encore en fonctionnement, mais au bénéfice de l’occupant, un malaise semble atteindre le personnel ouvrier. Un coup de tonnerre éclate aux carrières de Quenast, début septembre. Le 7, la majeure partie du personnel décide de ne plus travailler. Peu d’indications de sources officielles confirment le fait (rapports de collèges communaux, etc.) Toutefois, une preuve tangible vient éclairer de manière nette la situation. La plupart des carnets individuels des ouvriers comportent une notification à la page de début et de fin de contrat dans l’entreprise. Il y est indiqué: « JE SOUSSIGNÉ, SOCIÉTÉ ANONYME DES CARRIÈRES DE PORPHYRE DE QUENAST, DÉCLARE QUE LE PRÉNOMMÉ ….. EST ENTRÉ À MON SERVICE LE ….. ET QU’IL EN EST SORTI LE 7/9/1916. SIGNÉ, LE DIRECTEUR ».

Des ouvriers issus des communes de Lembeek et de Hal sont réquisitionnés pour venir remplacer ceux qui ont refusé de travailler pour les « Boches ». Mais rapidement, les Flamands s’enfuient, laissant la carrière sans production. Or, déjà, à cette époque, la fabrication de pavés a commencé à être remplacée par la production de gravier dont l’armée allemande a besoin pour charger les voies ferrées de ballast, empierrer les routes et fournir du macadam destiné aux tranchées, sur le front de l’Yser ainsi que pour la construction de bunkers. Jusqu’en 1917, l’occupant essayera de faire venir des ouvriers carriers d’autres provinces. En février, une quarantaine d’ouvriers issus de Desteldonck (près de Gand) arrivent à Quenast. Eux non plus, ne resteront pas longtemps sur les lieux, ils s’éclipsent à la première occasion. En fin de compte, les Allemands feront venir des prisonniers italiens qu’ils enferment dans les carrières afin que ces derniers ne puissent s’évader. Ces malheureux sont maltraités et leurs conditions de vie sont si déplorables que les habitants de Quenast, déjà sans beaucoup de moyens, décident de les nourrir en leur jetant par-dessus les grillages d’enceinte, le peu qu’ils ont encore.

Les tentatives d’attirer les ouvriers belges à travailler pour eux ayant échoué, l’occupant passe à la vitesse supérieure. L’opération de recrutement forcé, décidée en août 1916 et programmée sur tout le territoire national, s’apparente plus à de l’esclavage qu’à la mise au travail. Elle est en place, dès le mois d’octobre 1916, dans le Hainaut et dans les deux Flandres. Les autres provinces suivront rapidement. Rebecq, Quenast et Tubize, bien que situés en Brabant, sont inclus dans la zone hennuyère. Des voix s’élèvent contre ces déportations qui constituent une violation flagrante de la Convention Internationale de La Haye. L’épiscopat belge fait aussi rapidement entendre son indignation et le cardinal Mercier lance son « cri d’alarme », mais rien n’y fera, les déportations commenceront. Bien que des affiches aient été apposées dans les villes et villages visés par la mesure d’enrôlement forcé, les soldats allemands sont à pied d’œuvre dès le matin. Généralement tôt, ils commencent les rafles en se rendant dans les maisons, en arrêtant les hommes des tranches d’âge précitées. Si certains tentent de s’enfuir, ils sont vite rattrapés et conduits vers leurs congénères rassemblés sur la place communale. Les chanceux qui ont quand même eu l’occasion de s’échapper, malheur à eux, s’ils sont repris plus tard. Le châtiment qui les attend sera terrible! Ainsi, tant en Flandre qu’en Wallonie, à partir d’octobre 1916, il ne sera pas prudent pour un jeune homme de se faire voir par la soldatesque teutonne, car tant que les évacuations de déportés sont d’actualité, il risque d’être arrêté et emmené manu-militari vers un destin peu enviable.

Les villes dotées d’une gare ferroviaire et qui possèdent une rue « de la Déportation » ou « Martyrs de Soltau » conservent le souvenir de ces rassemblements obligatoires d’habitants issus des localités des alentours. Sur le champ ils doivent quitter famille et amis. A Soignies, 842 Sonégiens sont réunis à la gare. Après une inspection médicale sommaire, ils sont embarqués dans des wagons réquisitionnés.

Sur la Grand-Place de Tubize, l’occupant a rassemblé plus de quatre cents Quenastois, autant de Rebecquois. Avec les habitants de Tubize, c’est presque 2.000 compatriotes que l’on amena en rangs serrés jusqu’aux Forges de Clabecq, à environ deux kilomètres.

Dans tout le pays, la plupart des familles ont au moins l’un des leurs victime de ce ratissage à grande échelle, bien orchestré par un occupant encore mieux organisé. Des heures d’angoisse vont commencer à s’égrener pour les épouses, les mères et les enfants des malheureux dont on ne saura que bien plus tard ce qu’ils seront devenus, quel aura été leur sort. Les hommes partis, les femmes devront développer des trésors d’imagination pour trouver en ces temps de disette et de pénurie, la nourriture déjà fort rare, afin d’assurer la subsistance d’une famille composée de jeunes enfants et de vieillards.